L'environnement
antarctique se caractérise par son originalité et son exemplarité. Jusqu’aux
années 70, l’image qu’avait la majorité des personnes était simple : devant
tant d’espaces inoccupés, les activités humaines au sud du 60° de latitude
Sud n’auraient pas ou peu d’impact sur l’environnement. Pourtant,
l'écosystème du continent blanc est typiquement ceux des milieux extrêmes: il
est fragile et particulièrement sensible aux actions externes.
L’environnement en Antarctique est non seulement vital pour les espèces
indigènes, mais il représente également une zone de surveillance continue
contre la pollution mondiale. Des erreurs ont été commises dans le passé
(introduction d'espèces exogènes, exploitation inconsidérée de la faune,
...), il faut aujourd’hui les réparer et surtout éviter qu'elles ne se
reproduisent.
Le continent austral est le foyer de multiples activités scientifiques
d'envergure, notamment sur la couche d’ozone et les changements climatiques.
Les travaux de recherche scientifique engagés par les Etats et la coopération
entre ceux-ci ont montré qu’en dépit de leurs différences des Etats pouvaient
travailler ensemble, dans leur intérêt mutuel et dans l’intérêt de la paix et
de la coopération. Mais surtout, cette région est l’objet d'une activité
internationale intense et un laboratoire de la réglementation internationale
de l'environnement.
Toutes les activités menées en Antarctique sont soumises aux règles du
système du Traité sur l’Antarctique qui repose sur le traité signé à
Washington le 1er décembre 1959 par douze Etats ayant mené des activités
scientifiques sur le continent durant l’Année Géophysique Internationale.
L’Antarctique est alors réservé à jamais aux seules activités pacifiques.
Entré en vigueur le 23 juin 1961, le Traité interdit tout mesure de caractère
miliaire, toute explosion nucléaire et l’élimination de déchets radioactifs.
La liberté de la recherche scientifique est garantie alors que la coopération
scientifique internationale est encouragée. Cet accord permet aux Parties de
coopérer en vue d’atteindre les objectifs du traité, malgré leurs divergences
de position à propos des revendications de souveraineté territoriale.
L’Argentine, l’Australie, le Chili, la France, la Norvège, la
Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni ont fondé des prétentions territoriales
sur un faisceau d’arguments tels que la découverte, la proximité
géographique, l’accomplissement d’actes de souveraineté. De telles
revendications n’ont pas été reconnues ni par les Etats-Unis ni par l’Union
soviétique. Pour éviter tout conflit, le traité de 1959 va « geler » ces
prétentions territoriales.
Les dispositions du traité ont été progressivement complétées par d’autres
accords et par une série de recommandations adoptées à l’occasion des vingt
et une conférences consultatives passées. Le Traité et les accords successifs
sont ouverts à l’adhésion de toute Nation. Tout Etat menant des activités
substantielles de recherche scientifique telles que l’établissement d’une
station ou l’envoi d’une expédition peut obtenir le statut de Partie
consultative, et à ce titre disposer d’un droit de vote. La France, membre
originaire du Traité sur l’Antarctique, est l’une des 26 Parties
consultatives. La virginité de l'Antarctique s’est trouvée fortement menacée
par la Convention de Wellington sur la réglementation des activités relatives
aux ressources minérales de l'Antarctique du 2 juin 1988. La nécessité de
protéger l'environnement austral a, de ce fait, été sujette à des
considérations intenses par les Parties au Traité sur l'Antarctique de 1959,
qui ont culminé par l'adoption, le 4 octobre 1991, du Protocole au Traité sur
l'Antarctique relatif à la protection de l'environnement, communément appelé
Protocole de Madrid. Ce nouvel instrument juridique est entré en vigueur le
14 janvier 1998.
D’une protection ponctuelle à une protection globale de
l’environnement en Antarctique
L'environnement n’a jamais été absent des préoccupations des Etats portant un
intérêt à l’Antarctique. Le continent austral connaît des protections
ponctuelles dans le cadre du système du Traité sur l’Antarctique. Les Mesures
Convenues sur la conservation de la faune et de la flore Antarctiques, la
Convention sur la protection des phoques de l’Antarctique, la Convention sur
la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique ou encore le
corpus juridique quantitativement impressionnant que présentent les
recommandations adoptées lors des réunions des Parties consultatives sont
autant d’éléments contribuant à la préservation et la gestion collectives du
milieu antarctique. Toutefois, une approche d'ensemble qui assurerait une protection
plus systématique et plus efficace de l’environnement austral s’est révélée
être vitale à la fin des années 1980.
A l'initiative des néo-zélandais, il est alors question d'examiner les
modalités d’exploitation des ressources minérales du continent. La France
s'est montrée être, avec l’Australie, le défenseur déterminant du milieu
naturel antarctique. Au moment où certains Etats voyaient en cet espace un
lieu nouveau pour l'exploitation de ressources naturelles, ces deux Etats se
sont vivement opposés à l'entrée en vigueur de la convention de Wellington
sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de
l'Antarctique qui aurait permis une telle activité. L’entrée en vigueur de
cet accord dépendait de sa ratification par les sept Etats dits «
possessionnés ». Outre la ratification de l’Argentine, le Chili, la Norvège,
la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni, celle de l’Australie et de la France
était ainsi nécessaire.Avec le refus de la France et l’Australie de la
ratifier, cette convention ne peut entrer en vigueur. Parallèlement, une
véritable contre-offensive écologique a été menée, contre cette convention,
par les principales organisations de protection de l’environnement, telles
Greenpeace ou la Fondation Cousteau. Enfin, les désastres environnementaux
fortement médiatisés du Bahia Paraiso dans les eaux australes et surtout de
l’Exxon Valdez au pôle nord ont montré la fragilité des zones polaires . Les
préjudices graves subis par le milieu austral couplés à l’infortune de l’Exxon
Valdez ont donné un coup de fouet à l’opinion publique internationale
dorénavant sensible aux répercussions écologiques des marées noires sur de
tels espaces.
Face à une telle opposition, les Etats ont donc cherché à élaborer des normes
sévères pour toutes les activités humaines menées au sud du 60° degré de
latitude Sud. A Madrid, au printemps 1991, la réunion des Parties
consultatives au Traité de Washington a donné raison à la France et à
l’Australie et aux organisations non gouvernementales « environnementalistes
». Le Protocole au Traité sur l'Antarctique relatif à la protection de
l'environnement témoigne de l'attention croissante qui est prêtée à la
sauvegarde de la nature du continent blanc. Son adoption marque une point
tournant significatif du droit de l'environnement en général et de la
protection de l'Antarctique en particulier. Ce traité désigne l’Antarctique
comme « réserve naturelle consacrée à la paix et la science ». Il consacre
l'idée selon laquelle le développement d'un régime de protection globale de
l'environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés est
de l'intérêt de l'humanité tout entière. Pour que ce nouvel instrument
juridique entre en vigueur, il appartenait aux 26 Parties consultatives du
Traité de Washington de le ratifier.
Six ans ont été nécessaires pour que soit atteint le nombre de ratifications
exigé. Le Protocole de Madrid n’est ainsi entré en vigueur que tout récemment
: le 14 janvier 1998, soit trente jours après sa ratification par le Japon.
Les dispositions du Protocole ne sont toutefois pas demeurées lettre morte
depuis 1991. Les Parties contractantes ont, à plusieurs reprises, affirmé
leur engagement à respecter, dans la mesure du possible, les dispositions de
cet accord avant même son entrée en vigueur. D’une application volontaire du
Protocole de Madrid, nous passons, grâce à l’entrée en vigueur de cet
instrument, à une application forcée de celui-ci par tous les Etats
contractants.
Des garanties environnementales strictes
Le Protocole de Madrid consacre, en le complétant, le système du Traité sur
l'Antarctique. En 1991, les Etats ont réaffirmé leur attachement aux
principes et aux objectifs de 1959 : le gel des prétentions territoriales, la
non-militarisation, la non-nucléarisation, la liberté de la recherche
scientifique et la coopération internationale.
Le Protocole représente par-dessus tout une véritable réponse aux critiques
sévères formulées à l’égard de la Convention, mort-née, de Wellington. Une
interprétation stricte du principe de précaution est ainsi consacrée. Toute
activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche
scientifique, est dorénavant interdite. Les débats relatifs à l'exploitation
des ressources minérales de l'Antarctique sont ainsi clos. Certes, une révision
est possible mais une levée éventuelle de la prohibition est soumise à de
sérieuses conditions de fond et de forme .
Parallèlement, les activités humaines sont interdites à moins qu'il ne soit
prouvé qu'elles ne provoqueront pas un dommage inacceptable pour
l'environnement. A cette fin, un mécanisme d’évaluation préalable d’impact
sur l’environnement à plusieurs échelles a été élaboré. Les activités sont
divisées en trois catégories différentes dépendant de leurs conséquences
éventuelles sur l’environnement naturel. « Plus les éventuelles répercussions
écologiques d’une activité sont importantes, plus les conditions à remplir
sont sévères » . Les activités qui sont identifiées comme pouvant
certainement avoir un « impact moindre que mineur ou transitoire » seront
évaluées conformément à des procédures nationales, elles seront entreprises
immédiatement (par exemple, le déménagement d’un camp). Si elles présentent
un « impact mineur ou transitoire », une évaluation préliminaire d’impact
sera exigée (par exemple, une modification substantielle d’une station
existante). Enfin, les activités qui auront probablement un « impact plus que
mineur ou transitoire » feront quant à elles l’objet d’une étude globale
d’impact sur l’environnement (par exemple, la construction d’une piste
d’atterrissage). Une attention particulière sera portée à l’activité, et
principalement à son effet dommageable éventuel, à sa garantie de sécurité
par rapport à l'environnement et à l'existence de moyens rapides et efficaces
en cas d'accident.
Le Protocole de Madrid n’est pas un traité exempt de toute critique. Il peut
être regrettable de voir que ceux qui effectuent les évaluations d'impact
sont également ceux qui vont mener ces activités. De même, le Protocole de
Madrid ne donne aucune définition des termes « impacts mineurs ou
transitoires ». Une latitude d’interprétation subsiste. Cela aboutit à un
paradoxe : des Etats pourraient juger certaines activités potentiellement
dangereuses alors que, pour d’autres, ces mêmes activités ne présenteraient
aucun danger. Une certaine harmonisation quant à l'approche de l'impact des
activités tend néanmoins à se développer à l’occasion des réunions des
Parties consultatives successives.
Malgré tout, le Protocole de Madrid représente un pas significatif vers une
protection de l’environnement du continent austral puisque les évaluations
d’impact sur l’environnement sont la condition sine qua non d’une
réglementation effective de la faune et de la flore. Ses auteurs ont élaboré
un dispositif complet de protection de l’écosystème : toute activité menée au
sud du 60° degré de latitude Sud, qu’il s’agisse des activités scientifiques
ou des activités touristiques, est concernée. Elles seront observées de leur
projet à leur achèvement. En outre, des annexes précises développent les
règles relatives et à la conservation de la faune et de la flore, à
l’élimination et la gestion des déchets, à la prévention de la pollution
marine, et à l’instauration de zones spécialement protégées. Un comité pour
la protection de l’environnement va surveiller la mise en œuvre de ce nouvel
instrument juridique.
Les règles du Protocole de Madrid sont surtout exprimées dans des termes
impératifs. Le Protocole est juridiquement contraignant non seulement pour
les Etats parties mais également pour les opérateurs fonctionnant sous leur
juridiction. La mise en oeuvre du Protocole repose essentiellement sur les
épaules de chaque partie contractante. A part le mécanisme des discussions,
l'examen des rapports, les inspections, aucun mécanisme véritablement
international n’a été élaboré. Les Etats doivent donc légiférer au plan
national pour leur donner effet et montrer qu’ils font leurs les
préoccupations et les priorités de la communauté internationale. A cette fin,
le traité établit un ensemble de mesures de protection environnementale
complet et incorpore des dispositions pour améliorer l'effectivité et la
bonne réception du mécanisme du Traité sur l’Antarctique. S'il est attrayant
d'harmoniser les lois nationales, une application uniforme du Protocole est
néanmoins irréalisable. Des approches législatives nationales différentes
sont inévitables. A la différence par exemple du Royaume Uni qui a établi une
législation interne, la France, si elle a ratifié le Protocole de Madrid, ne
l'a pas encore introduit dans son droit interne.
Une protection environnementale confortée
Depuis 1991, les Parties consultatives ont cherché à perfectionner le régime
juridique, à combler ses lacunes et insuffisances et à ouvrir des voies
nouvelles. Le débat porte ainsi sur l’institutionnalisation du système du
Traité sur l’Antarctique jugée inévitable. En raison de la complexité
croissante de ce système, la création d’un secrétariat est en cours de
discussion. Mais, c’est surtout vers l’élaboration de règles relatives à la
responsabilité des dommages à l’environnement et de normes sur le tourisme
que se tournent les Etats.
Si les Etats bénéficient d’un système de règlement pacifique des différends
circonstancié, le Protocole de Madrid n’a fait que rappeler que les Etats
s'engagent à élaborer des règles concernant la responsabilité pour les
dommages à l’environnement résultant de leurs activités dans la zone du
Traité sur l’Antarctique. Le Protocole préfère ainsi mettre l'accent sur la
prévention des dommages et sur les mesures de réaction à adopter lorsque
ceux-ci surviennent que de se préoccuper de la réparation des dommages et des
problèmes de responsabilité. La démarche est logique puisque la réparation
des dommages montre l’échec d’une prévention. Nonobstant, des règles
relatives à la responsabilité sont indispensables. Les différentes réunions
des Parties consultatives sont l’occasion de négociations d’une annexe sur la
responsabilité des dommages causés à l’environnement.
Depuis les années 1960, un accroissement régulier du nombre des touristes qui
se rendent dans la zone du Traité sur l’Antarctique est observé. Quelques
7322 personnes ont voyagé vers l’Antarctique à bord de navires entre novembre
1996 et mars 1997, ils étaient moins de 2000 il y a quinze ans et leur nombre
ne va cesser d’accroître . Ce type d'activité fait courir des risques
supplémentaires à l'écosystème. L’élaboration de règles relatives à la
prévention d’une telle pollution anthropique et garantissant un « écotourisme
» a mobilisé l’attention des Parties consultatives ces dernières années. Des
mesures non contraignantes pour les visiteurs de l’Antarctique et pour « ceux
qui organisent et conduisent des activités touristiques et
non-gouvernementales » ont ainsi été adoptées à Kyoto en 1994.
Une utilisation durable et non abusive de l’Antarctique pour le bien-être de
l’humanité dépend de la protection de l’environnement en Antarctique. Il ne
s’agit pas d’empêcher la présence de l’homme, nous avons en revanche
l’obligation de la réglementer. Les Parties ont œuvré de concert pour
traduire en termes exécutoires un certain nombre de mesures destinées à
éviter que les activités ne portent préjudice à l’environnement. Le Protocole
de Madrid est un pas décisif vers un cadre idéal aux différentes formes de
protection requises par certaines régions fragiles de l’Antarctique. Il doit
permettre de renforcer la coopération dans le cadre du système du Traité sur
l’Antarctique. Cependant, il reste beaucoup à faire. Si les négociations sur le
Protocole ont été menées dans un climat constructif et positif, il reste à
montrer que ce traité est en mesure de faire face à ses nouvelles
responsabilités. Des défis sont à relever, notamment mettre tout en œuvre
pour réglementer certains domaines d’activités, comme le tourisme et les
activités non-gouvernementales.
Depuis 1959, le Traité sur l’Antarctique a été un exemple de coopération
internationale visant à tenir le continent blanc à l’écart de tout conflit et
de faire un lieu voué à la recherche scientifique dans l’intérêt de
l’humanité tout entière. Avec le maintien de la paix et la recherche
scientifique, l’environnement est devenu le troisième pilier du système du
Traité sur l’Antarctique. La récente entrée en vigueur du Protocole de Madrid
va certainement représenter un regain d’intérêt pour l’Antarctique. Le
Protocole sert de ligne directrice au déploiement des efforts déployés par la
communauté internationale pour protéger l’environnement naturel de l’homme.
Ce premier traité général sur l’environnement couvrant une vaste zone
internationale ouvre la voie à d’autres mesures de portée semblable dans le
cadre d’un développement durable. Il guidera certainement les travaux
entrepris sur les autres grands problèmes de notre époque : la protection de
la couche d’ozone, la réduction de l’effet de serre, la protection des forêts
tropicales, et la préservation de la diversité des espèces biologiques.
Source : CHOQUET (A.), Le Protocole de
Madrid, un nouvel instrument juridique de l'environnement en Antarctique,
Pôle Ouest, n°2, 1998
|